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P.-O. Rollin in Magasin, 12/2002 (fr)

Pierre-Olivier Rollin

(in « Magasin », oct, nov et déc 2002)

Le Secteur des Arts plastiques de la Province de Hainaut, dans son optique de diversification des modes et des lieux d’exposition, a choisi d’apporter son soutien au projet d’affichage urbain de l’artiste belge Michel Couturier. Les abribus et autres emplacements publicitaires de plusieurs grandes villes du pays doivent donc s’attendre, dans les mois à venir, à relayer les créations de ce pseudo annonceur.

Depuis plusieurs décennies, le principe de I’exposition est remis en cause par les artistes qui éprouvent le besoin de présenter différemment d’autres aspects de leur travail. Ce peut être le processus de création qui est, par exemple, mis en évidence, via I’ouverture de I’atelier, la présentation d’ébauches et de croquis, voire la discussion. Certains choisissent d’autres médiums, comme les interventions sur la ville via affiches ou autocollants, I’envoi postal (mail art), la performance, etc. Michel Couturier (Liège, 1957) a choisi, pour son prochain projet, I’affichage urbain. Concrètement, il s’agit de placer des affiches (Format abribus), conçues par I’artiste, dans les emplacements publicitaires de plusieurs grandes villes.

Ces affiches de Michel Couturier sont tirées d’un de ses projets de film sciemment inabouti. Celui-ci serait un remake de ” De la Nuée à la Résistance “, réalisé par les cinéastes français, Jean-Marie Straub et Danielle Huillet d’après deux textes de I’écrivain italien Cesare Pavese (” Dialogues avec Leuco ” et ” La Lune et les Feux “). Tout est mis en œuvre pour réaliser effectivement le Film, en laissant néanmoins sa réalisation définitive en suspens permanent. Les éIéments préparatoires prennent alors forme d’œuvres: les phases de repérage, I’écriture du scénario, le casting, les photographies sont considérés comme les étapes du cheminement de I’artiste.

CENTRES COMMERCIAUX

Le décor choisi sont les centres commerciaux qui émaillent la périphérie des villes. Ces lieux de plus en plus développés sont des simulacres de centres-villes, reproduits selon leurs formes les plus anciennes, donc les plus couramment admises. Entièrement privés, ils singent les lieux publics, mais éliminent tout ce que la notion d’espace public entend de libertés individuelles, de dialogues et de confrontations larvées ou frontales, au profit d’un modèle économique autoritaire.

Les affiches sont donc tirées d’images de ce film en suspens. Vagues, imprécises, campant parfois des personnages perdus dans le décor, elles sont accompagnées de bribes de phrases, extraites du texte original qui met en scène deux personnages mythologiques : Nuée, la nymphe, et Ixion, le guerrier. Leur dialogue traite, sous la forme d’un récit mythique, des rapports que les hommes entretiennent avec le monde, en ce compris les rapports sociaux et de classes, toujours conflictuels. Renonçant ainsi au sacro-saint principe de communication qui préconise une redondance entre le texte et I’image, Michel Couturier brouille les pistes, oblige I’observateur à un effort d’interprétation, ou au contraire à (laisser son imagination se perdre dans les éIéments d’un message imprécis.

Loin des slogans démagogiques, des phrases chocs apposées à des images fortes, comme on peut traditionnellement les voir sur ces espaces publicitaires, l’artiste suggère une dérive imaginative, emprunte d’une charge critique. Des possibilités de lectures et des croisements divers sont générés tandis que le décalage absolu texte/image enfante une sorte d’espace poétique libertaire.

POURQUOI ?

C’est le Secteur des Arts plastiques de la Province de Hainaut, en collaboration avec divers partenaires, qui a produit les affiches de ce projet, tout en aidant I’artiste à obtenir les espaces publicitaires. Ce soutien à un artiste dont plusieurs œuvres Figurent dans la collection provinciale, s’inscrit dans une logique d’adaptation permanente de I’institution aux exigences changeantes de la création. En eFfet, soucieux de répondre le plus efficacement aux besoins de créateurs, le Secteur des Arts plastiques doit régulièrement réinventer ses modes d’actions et d’interventions en faveur des artistes. Dans ce cas, il passe du rôle d’organisateur à celui de producteur. L’affichage est une manière.

Pierre-Olivier Rollin

(in « Magasin », oct, nov et déc 2002)

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