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P.-O. Rollin : exploration mythologique, l’Art Même, 05/2001

PIERRE-OLIVIER ROLLIN, EXPLORATION MYTHOLOGIQUE
l’Art Même, 05/2001

En choisissant d’opérer, sur le mode filmique, dans Les centres commerciaux et parkings d’autoroute, territoires qui condensent Les potentialités politico-économiques de La privatisation des espaces publics, Michel Couturier redénifit, comme il Le fait depuis une quinzaine d’années, son rapport au monde par le biais de La représentation.

Les phases de préparation du film, de I’écriture du scénario au tournage de quelques scènes, en passant par le casting, deviennent les étapes d’un cheminement artistique qui use à nouveau – des détours du récit mythologique, afin de générer une vision poétique qui permette d’assumer ces microcosmes urbains.

Immédiatement, le décor est instauré : les espaces commerciaux qui émargent des centres-villes, les parkings d’autoroutes ; autant d’espaces de stabulation fonctionnelle qui entretiennent I’illusion angoissante d’un segment d’urbanité viable, ouvert à la déambulation. Modèle en vérité commercial, entièrement régi par des règles strictes et autoritaires, qui érige explicitement un microcosme urbain dictatorial, dans lequel les zones de liberté sont réduites aux choix des produits de consommation : tandis que les formes de marginalité sont expulsées en périphérie ou hors du territoire défini. L’architecture, totalement englobante et aux ouvertures précisément régentées, va par fois jusqu’à singer celle de villes dans leurs formes les plus anciennes, donc les plus couramment admises, assurant une “filiation historique” avec les agoras passées. C’est I’érection d’un simulacre d’espace public, qui élimine tout ce que cette notion entend I de liberté individuelle, de dialogue et de confrontations larvées ou frontales. De l’artificialité du décor point le modèle économique autoritaire.

Ces espaces relèvent d’un simulacre d’urbanité, dont n’auraient été conservées que les façades attractives, mis au service d’un système de relations économiques, Michel Couturier (Liège, 1957, vit et travaille à Lille) les a choisis comme décor d’un film potentiel, autre mode de représentation, comme il avait sillonné le métro, dans deux travaux vidéos précédents. Tout est mis en œuvre pour réaliser effectivement le film, en laissant néanmoins sa réalisation définitive en suspens. Les éléments préparatoires prennent forme d’œuvres (castings, essais infographiques, quelques scènes tournées), tandis que des affiches apparaîtront dans quelques villes françaises et peut-être belges, opposant un texte ouvert (cfr. infra) et une image prise dans ce contexte sociétal caractéristique.

Le propos tient d’une forme de stratégie face au monde. II s’agit de détourner, de percer ce simulacre d’urbanité par d’autres procédés j de simulation qui relèvent cette fois du cinéma. Celui-ci est lui-même– même un remake de “De la Nuée à la Résistance”, réalisé par les cinéastes français, Jean-Marie Straub et Danielle Huillet d’après deux textes de Cesare Pavese (“Dialogues avec Leuco” et “La Lune et les Feux”). Michel Couturier instaure un croisement, aux potentialités multiples, entre le décor et deux personnages empruntés à la mythologie grecque. Le dialogue entre Nuée, la nymphe, et Ixion, le guerrier, traite, sous la forme du récit mythologique, des rapports au monde, en ce compris les rapports sociaux et de classes. Des possibilités de lectures et des croisements divers sont ainsi générés tandis que le décalage absolu texte/image enfante une sorte d’espace poétique libertaire.

PIERRE-OLIVIER ROLLIN (L’Art Même, mai 2001)